Allaitement et dentistes pédiatriques : quand la science est ignorée

L’allaitement maternel est reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme la meilleure alimentation pour un nourrisson. Pourtant, certains dentistes pédiatriques continuent de conseiller aux parents d’arrêter l’allaitement au motif que cela serait nuisible pour le développement dentaire de l’enfant OU que cela donnerait plein de caries. Cette recommandation, non seulement infondée scientifiquement, va à l’encontre des connaissances en physiologie infantile et du bon sens.

Une confusion entre succion nutritive et succion non nutritive

L’un des arguments avancés par certains dentistes pour justifier l’arrêt de l’allaitement est que la succion prolongée du sein favoriserait des problèmes orthodontiques, comme une mauvaise occlusion ou un palais trop étroit. Or, ces affirmations sont basées sur une confusion entre la succion physiologique du sein et la succion d’une tétine ou d’un pouce.

La succion au sein sollicite différents muscles orofaciaux, permettant un développement harmonieux du palais, de la langue et des maxillaires. À l’inverse, la succion prolongée d’une tétine ou d’un pouce exerce une pression continue qui peut, effectivement, causer des déformations dentaires. Assimiler ces deux types de succion revient à nier la complexité du développement oral chez le nourrisson.

L’impact positif de l’allaitement sur la croissance maxillo-faciale

Les recherches en odontologie et en orthophonie montrent que l’allaitement maternel favorise une meilleure croissance des structures oro-faciales. Le mécanisme de succion au sein encourage l’enfant à utiliser sa langue de manière optimale, stimulant ainsi le développement du palais et des voies respiratoires supérieures. Plusieurs études ont d’ailleurs mis en évidence que les enfants allaités présentent moins de problèmes de respiration buccale et de troubles du sommeil, tels que l’apnée obstructive.

En revanche, les nourrissons qui ne reçoivent que du lait en biberon dès la naissance ne bénéficient pas du même type de stimulation musculaire, ce qui peut, paradoxalement, augmenter le risque de malformations bucco-dentaires. Ainsi, en conseillant aux parents d’arrêter l’allaitement, certains dentistes pédiatriques prônent une solution qui va à l’encontre des preuves scientifiques actuelles.

Des recommandations basées sur des dogmes et non sur la science

Si l’OMS recommande un allaitement exclusif jusqu’à six mois et un allaitement prolongé jusqu’à deux ans ou plus, c’est en raison de ses nombreux bénéfices pour la santé globale de l’enfant. Outre son impact positif sur le système immunitaire et la nutrition, l’allaitement joue également un rôle crucial dans le développement sensorimoteur.

Il est troublant de constater que certains dentistes continuent de conseiller un sevrage précoce sans s’appuyer sur des études solides. Souvent, ces recommandations reposent sur des croyances obsolètes ou sur une formation dentaire qui n’intègre pas suffisamment les connaissances en lactation et en développement neuro-musculaire de l’enfant.

Une pression injustifiée sur les parents

En plus d’être infondées, ces recommandations exercent une pression inutile sur les parents, et en particulier sur les mères allaitantes. Beaucoup de femmes font déjà face à des obstacles sociétaux et familiaux qui compliquent l’allaitement prolongé. Entendre un professionnel de santé remettre en question leur choix sans raison valable peut engendrer un sentiment de culpabilité et pousser certaines à arrêter l’allaitement contre leur volonté.

De plus, le sevrage forcé peut avoir des conséquences sur le bien-être de l’enfant, qui perd un repère affectif et nutritionnel important. Il est primordial que les conseils donnés aux parents reposent sur des données objectives et non sur des préjugés ou des opinions personnelles.

Vers une meilleure formation des dentistes pédiatriques

Pour remédier à cette situation, il est essentiel que les dentistes pédiatriques soient mieux formés aux questions liées à l’allaitement et à son impact sur le développement bucco-dentaire. Plutôt que de conseiller un sevrage systématique, ils devraient adopter une approche plus individualisée, prenant en compte les besoins et le rythme de chaque enfant.

Certaines initiatives, comme les formations en lactation destinées aux professionnels de santé, commencent à voir le jour. Il est crucial que ces efforts se poursuivent pour que les parents reçoivent des conseils pertinents, respectueux des évidences scientifiques et du bien-être de leur enfant.

Et cette histoire d’allaitement et de caries ?

Une autre idée reçue qui circule chez nos amis les médecins pas formés (pfffff), celle que l’allaitement donne des caries.

Certains auteurs ont recommandé que l’enfant soit sevré au moment de l’apparition des premières dents de lait, sous prétexte que l’allaitement augmente le risque de caries. Aucune étude n’est venue confirmer le bien-fondé de cette recommandation.
Dans une étude publiée en 1999, Erickson concluait que si les laits industriels étaient cariogènes, ce n’était pas le cas du lait humain.

Des études ont constaté que la prévalence des caries était très basse pendant la préhistoire.

Certains ont estimé que le lactose était cariogène, comme le glucose ou le saccharose. Mais le lactose présent dans le lait humain est accompagné de tout un environnement enzymatique et immunologique. Par ailleurs, la lactase agit au niveau de l’estomac. Le lactose est le sucre spécifique du lait, et il est présent dans le lait de quasiment tous les mammifères. Pourquoi les humains sont-ils les seuls mammifères à présenter un taux significatif de caries ? Pourquoi les caries dentaires ne sont-elles apparues dans l’espèce humaine que depuis 8 000 à 10 000 ans ?

La suite des études : https://www.lllfrance.org/vous-informer/des-etudes/1326-carie-et-allaitement

DONC NON, l’allaitement n’est pas cariogène mais peut augmenter la cariogénie par des facteurs plurifactoriels énoncés succinctement dans cette vidéo faite par une professionnelle de l’allaitement et un dentiste pédiatrique. Toutes les sources des études scientifiques sont présentées à la fin de la vidéo ci-dessous.

https://www.instagram.com/reel/DF5wP5ysfSq/igsh=MWM1c3BvczVteDRtbQ%3D%3D

👉L’alimentation des nouveau-nés joue un rôle clé dans l’établissement du microbiome. Il existe des différences dans le type de micro-organismes qui colonisent la cavité buccale des enfants allaités par rapport à ceux nourris au PPN (préparation pour nourrissons (PPN) ou lait infantile donné aux bébés).

Par exemple, les études comparant les nourrissons nourris au sein et nourris avec une PPN constatent systématiquement une diversité alpha plus faible dans la cavité buccale des nourrissons allaités.

L’alimentation au biberon avec une PPN peut favoriser le Streptococcus mutans par deux points.

👉 Composition des PPN : glucose, le saccharose (sucrose) , la maltodextrine (dextrine-maltose) dont le S.mutans est friand

👉 La dynamique de succion au biberon liée au flux salivaire nocturne : le flux salivaire réduit durant la nuit associé à un lait qui s’écoule passivement dans la bouche du bébé par une déglutition primaire, peut abaisser le PH buccal et impliquer un risque de développer des caries.

👉Petit point supplémentaire sur la respiration buccale. La respiration par la cavité buccale peut affecter négativement la santé bucco-dentaire, augmentant le risque de carie et de maladies parodontales. La respiration buccale assèche les muqueuses et les surfaces dentaires qui peuvent impliquer une prolifération bactérienne plus importante et induire une prévalence de la CPE plus élevée.

Autres sources intéressantes

Devenish G et al., Early childhood feeding practices and dental caries among Australian preschoolers, Am J Clin Nutr 2020, en ligne le 11 février.

Une étude, faite sur des enfants australiens à l’âge de 2/3 ans, n’a pas trouvé de corrélation indépendante entre la présence de caries et le fait d’avoir été allaité plus de 12 mois, non plus qu’avec le fait d’être endormi au sein. Les seuls facteurs indépendamment associés étaient la prise d’aliments riches en sucres libres et un environnement socioéconomique défavorisé.

Conclusion

L’allaitement maternel est une pratique physiologique qui présente de nombreux avantages pour la santé bucco-dentaire de l’enfant. Les recommandations de certains dentistes pédiatriques visant à faire arrêter l’allaitement ne reposent sur aucune base scientifique solide et contribuent à propager des mythes nuisibles. Il est temps que la dentisterie pédiatrique s’appuie davantage sur les avancées en neurosciences et en physiologie infantile, afin d’accompagner les parents de manière éclairée et bienveillante.