Assise devant moi, ses longs cheveux blonds tombent sur ses épaules, elle me fixe avec ses grands yeux bleus clairs et affiche un sourire charmeur. Une vraie bouille de poupée. Qui aurait pu croire que derrière cette tête d’ange se cache un lourd secret. AB (c’est son pseudo) est atteinte de troubles bipolaires qui l’ont poussés à découvrir malheureusement la dépression. Aujourd’hui, elle a appris à vivre avec cette maladie et dévoile les dessous de ce trouble trop sujet aux idées reçues.
Selon l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) la bipolarité ou troubles bipolaires est « une maladie mentale durable et grave qui affecte l’humeur et le comportement ». La Haute Autorité de Santé (HAS) souligne que la bipolarité « dans sa forme la plus typique » se définit par un changement radical d’humeur et du comportement allant de l’excitation et l’euphorie à la dépression, sans transition.
Je tiens à revenir sur le terme dépression. Ce dernier est régulièrement employé à tort et à travers dans le langage courant pour décrire des périodes de tristesse, d’ennui et de mélancolie que nous sommes TOUS appelés à vivre à un moment ou à un autre sans qu’il ne s’agisse pour autant d’une maladie. La dépression ne dure pas 10 jours, c’est chronique.
Salut AB, merci d’avoir accepté de répondre à cette interview.
Peux-tu nous expliquer en quelques phrases qu’est-ce que la bipolarité ?
La bipolarité est une maladie mentale qui entraîne des dérèglements de l’humeur. Les deux phases les plus connues sont la phase de up et la phase de down.
Up étant la phase maniaque et down la phase dépressive.
Je te laisse deviner quelle phase est la moins sympa.
A l’inverse de la majorité de la population notre corps et notre tête n’arrivent pas à doser nos émotions, ce qui provoque donc ces irrégularités.
Même si cette maladie c’est pour la vie, un bon suivi et un traitement aident notre corps à faire ce qu’il n’arrive pas à faire tout seul, cet idiot, c’est à dire réguler nos humeurs.
Et attention, à ne pas confondre avec lunatique, j’entends beaucoup de personnes utiliser le terme bipolaire à tort et à travers alors que, sans aucun doute, lunatique conviendrait mieux justement !
Qu’est-ce qui t’a mis la puce à l’oreille sur le fait que tu sois touchée par la bipolarité ? J’imagine que jamais tu n’aurais placé ce mot sur tes maux (#CamillePoète)
Déjà bravo pour la rime !
Effectivement je ne l’aurais jamais deviné.
A l’époque je n’aurais pas su dire que j’avais une maladie. D’une parce que j’avais totalement perdu pied, et de deux car en reprenant mes esprits, les médecins ne mentionnaient pas de maladies psychiatriques en particulier me concernant. Ils restaient évasifs. Je pense qu’au fond il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour me diagnostiquer.
Mais pour répondre à ta question, c’est surtout lors de ma seconde rechute que j’ai compris que quelque chose clochait, sur le long terme. Et que mon premier épisode n’était pas isolé ou dû à l’arrêt du cannabis et d’une relation amoureuse désastreuse. Je souffrais d’un truc plus profond.
Comment tu ressens et vis les choses ?
Aujourd’hui, grâce à mon actuelle psychiatre, qui en 2017 m’a déclarée bipolaire, et qui me suit toujours, je me sens bien et je vis cette maladie avec du recul, en l’acceptant. Je mène une vie totalement « normale » (normal n’a pas la même signification pour chaque personne, mais tu vois l’idée).
Attention ça n’a pas toujours été aussi rose… Dans mes périodes les plus sombres où je n’avais pas encore le bon traitement et suivi, j’ai passé des mois en totale dépression. La vraie, la seule, celle où la vie ne paraît plus valoir le coup d’être vécue, où on se sent terriblement seule. Mais en même temps qui voudrait être avec moi car de toute façon je suis qu’une merde. Ce genre de dépression où mettre fin à sa vie semble être la seule délivrance pour quitter enfin cet état.
A l’inverse, les périodes de up ne duraient jamais très longtemps, tellement nous sommes H24 à fond, notre corps et notre mental se fatiguent extrêmement vite.
Mais même tout cela n’était rien comparativement à mon séjour en hôpital psychiatrique. Je comprends aujourd’hui la nécessité de cette étape, mais je ne le souhaite pas à mon pire ennemi (je n’en ai même pas d’ailleurs mais c’est pour donner une référence).
Comment ont réagi ta famille et ton entourage proche en apprenant que tu étais touchée par cela ?
A vrai dire dans ma famille c’est assez tabou, à part mes parents et mon frère, je ne sais pas exactement quel autre membre est au courant. Je pense que mes parents ont voulu me protéger. Pour eux, la nouvelle n’a pas été facile à encaisser, ils n’y croyaient pas (syndrome de l’autruche). Mais en leur expliquant, en leur montrant des témoignages etc, je pense qu’ils ont fini par s’y faire. Mon frère a très mal réagi lors de mes premiers épisodes psychotiques mais finalement il a compris et s’est renseigné sur cette maladie quand je lui ai annoncé le diagnostic final et que je souffrais de troubles bipolaires.
Nous sommes très fiers dans ma famille, nous ne parlons jamais de nos sentiments par exemple. Et malheureusement pour moi je pense que ça a toujours été contre nature d’avoir été façonnée en ce sens, car finalement je suis également « atteinte » d’hypersensibilité.
Concernant mon entourage, mes amis ont malheureusement été au première loge de cette spirale infernale qui a duré plus de 4 ans. Ils étaient finalement, et un peu comme moi, soulagés d’avoir la réponse et un nom à donner à tout cela. Ils ont été d’un réel soutien, sans eux je ne pense pas que j’en serais au même stade de ma vie à l’heure même où je réponds à ton interview.
En parles-tu ouvertement avec les personnes (amis ou non d’ailleurs) ?
Très bonne question ! Avec le temps j’ai appris et été surtout contrainte d’apprendre à qui je pouvais me confier.
A la révélation de ma maladie, j’avais besoin de le partager ! Je ne saurais te dire pourquoi réellement. Certainement pour me décharger, me libérer (délivrer, sans référence aucune haha) et aussi certainement jauger la réaction des personnes. Est-ce qu’on va me prendre pour une folle ou pas ? Comment vont ils réagir ?
Puis après quelques mésaventures, je me suis aperçue que je devais tout de même me protéger et ne pas en parler au tout venant.
Concernant mes amis, certains sont open, donc on en parle (sans que ce soit le sujet principal, bien au contraire, surtout deux ans après la révélation), d’autres sont moins à l’aise avec les maladies psychiatriques donc on en parle pas et voilà tout.
En quoi consiste ton traitement ? C’est lourd, compliqué à prendre ? Que se passe-t-il si tu ne le prends plus ?
Mon traitement est un régulateur d’humeur, il compense donc une certaine carence. Son petit nom : Depakote.
J’ai eu du mal, avec ma psychiatre / psychologue, à trouver une dose adaptée. Avec le double du grammage que celui d’aujourd’hui, je n’étais pas moi ! Je me sentais molle, sans caractère, sans joie ni peine, et limitée intellectuellement, j’avais dû mal à rester concentrée. La prise de poids est également l’un des effets secondaires. C’était donc assez dur dans les débuts. Après avoir réduit la dose, c’était le jour et la nuit, et ça y est je crois avoir trouvé mon rythme de croisière.
Ce n’est pas un traitement contraignant. Il faut seulement penser à le prendre (même en rentrant un peu trop saoule d’une soirée) et surtout avoir une contraception (ce serait un drame de tomber enceinte sous Depakote, on ne joue donc pas avec le feu).
Il ne faut surtout pas prendre la décision de l’arrêter d’un coup sans l’accord de son psychiatre. Pour tout te dire, je suppose que si je ne le prends plus, il se pourrait fortement que je reparte en up ou down. Il en est hors de question ! J’espère ne plus jamais devoir revivre ça. C’est donc un traitement sur le très très long terme (pour toujours).
Est-ce que la bipolarité nécessite un suivi psychologique / psychiatrique ?
Tout à fait ! Outre le traitement j’ai également des rendez-vous avec ma psychiatre qui a également une formation de psychologue.
C’est au médecin de décider de la fréquence des rdv et également de la dose du traitement prescrite.
Pour moi, au début c’était une fois par semaine, puis deux fois par mois, puis maintenant une fois par mois.
Tout repose entre ses mains, c’est donc très important de trouver LA personne avec qui on se sent à l’aise (chose compliquée certes mais primordiale) ! Et surtout il faut être honnête avec elle car c’est finalement cette personne qui peut le mieux nous connaitre et déceler une faille.
Cela t’empêche-t-il d’avoir une vie « normale » ? As-tu des exemples concrets dans la vie de tous les jours où c’est le cas ?
Absolument pas. Cela ne m’empêche pas d’avoir une vie, que ce soit professionnelle, personnelle ou sociale.
J’ai un travail que j’apprécie, je suis propriétaire d’un appartement, je sors, je pars en vacances etc etc :).
Je suis la même qu’avant que tout cela me tombe dessus c’est à dire joyeuse, enjouée mais toujours stressée par les traquas de la vie auxquels nous sommes tous confrontés finalement.
Comment évolue cette maladie ?
J’ai la « chance » de ne pas avoir la maladie à un stade très avancé, mais je suis tout de même contrainte de prendre ce traitement et être suivie pour le restant de mes jours.
Si je continue sur cette lancée elle n’est donc pas censée évoluer dans un sens ou dans un autre.
Attention, malheureusement les maladies psy ne sont pas une science exacte, il suffirait d’un élément traumatisant pour que je puisse peut être reperdre pied.
Que conseillerais-tu à quelqu’un qui pense être touchée par la bipolarité ? Ou bien à quelqu’un qui va mal mais qui ne sait pas vers qui se tourner ?
Mon seul conseil est d’en parler, et tu l’as compris, pas à n’importe qui, mais à une personne compétente. Il ne faut pas avoir honte de se faire suivre et de vraiment tout dire.
« Ça va passer », « c’est une mauvaise période », d’accord on a tous des coups de mou, mais si on sent un réel mal être, il ne faut pas hésiter à se faire aider.
Je sais que les maladies mentales font peurs et restent très tabous en France et dans le monde en règle générale, mais ces médecins ne sont pas là pour nous juger mais pour nous aider et nous accompagner.
Si j’ai souhaité créer un blog c’est non seulement pour partager mon expérience, pour aider les personnes bipolaires, pour aider les proches des bipolaires à les comprendre mais aussi pour prouver que les bipolaires et autres malades mentaux ne font pas tous la une des rubriques faits divers.
Non, nous ne sommes pas tous violents ou pyromanes. Nous sommes juste des personnes, certes souffrant d’une maladie, mais qui vivons notre vie sans rien demander et sans faire de mal à une mouche !
Merci d’avoir osé mettre en lumière cette maladie et d’avoir accepté d’en parler à cœur ouvert sur mon blog. J’espère sincèrement que tu ne replongeras plus dans un pareil enfer. Tu sembles désormais être encore plus forte et cet épisode loin derrière toi.
Merci à toi Camille et à tes lecteurs, que je sais chers à tes yeux 🙂 !
Pour retrouver tout le parcours de AB et creuser le sujet, rendez-vous sur son blog https://authentiquebipolaire.com