CamilleG

Hypocrisie bonjour

Alors que certains mènent l’enquête sur « qui fabrique nos vêtements » tentant ainsi de revoir à la baisse leur consommation textile et priorisant leurs besoins, d’autres à l’inverse, bavent devant les produits des eshops d’un énorme groupe anglais, et remplissent leur panier de bouts de tissus transpirant l’esclavage moderne. Encore heureux qu’il n’y ait pas de tâches de sang sur les étiquettes. Et pourtant…

Depuis quelques semaines, le groupe britannique Boohoo se voit ternir son image dans le paysage médiatique et social. Les consommateurs crient au drame, insultent même celles et ceux qui en font la promotion ou qui ne prennent pas partie contre les marques du groupe, à savoir les incontournables Pretty Little Thing, Nasty Gal et d’autres moins connues en France. Pour rappel, les cibles de ces entités ont entre 15 et 30 ans. Les 36 000 produits mis en ligne par le groupe tournent autour du prix moyen de 18 euros. La matraque publicitaire subi par le consommateur met sans cesse en avant des codes promo et soldes, qui au passage durent 365 jours sur 365 !

Rappel des faits

8 juillet 2020, le scandale explose. Les investisseurs se détournant du groupe d’habillement britannique Boohoo depuis la publication d’informations de presse accusant l’un de ses fournisseurs de pratiques quasi-esclavagistes et d’avoir contribué à propager le coronavirus.

Direction l’Angleterre et plus particulièrement Leicester, au centre du pays. Cette ville à forte diversité ethnique, compte un bon millier d’ateliers textiles. Labour Behind The Label, une organisation coopérative à but non lucratif basée au Royaume-Uni qui milite pour les droits des travailleurs dans l’industrie de l’habillement, accuse les marques comme Boohoo, spécialiste de la Fast Fashion, de piétiner le droit du travail. Et pour cause…

Jusqu’à 10 000 personnes – « mélange de gens du cru et de travailleurs immigrés » sont employées dans des conditions proches de l’esclavage dans les ateliers textiles de Leicester, a indiqué début juillet 2020 un député local.  La ministre de l’Intérieur Priti Patel s’en est émue devant le Parlement lundi, dénonçant « ce fléau moderne » et son ministère a annoncé l’ouverture d’une enquête sur ces allégations par l’Agence nationale contre la criminalité (NCA).

Un rapport de vingt pages publié fin juin 2020 par l’association Labor Behind the Label affirme que ces centaines ateliers de confection ont exposé les ouvriers à des risques d’infection du Covid pendant le confinement, ne respectant pas les mesures de distanciation sociales. L’ONG expose également des cas de travailleurs testés positifs au virus, contraints de rester en poste « pour honorer les commandes ». Publiée dans la foulée, une enquête du Sunday Times pointe la rémunération dérisoire des ouvriers, payés 3,50 £, soit 3,90 € de l’heure, alors que le salaire minimum en Grande-Bretagne est fixée pour les 25 ans et plus à 8,72 £, soit 9,70 €.

Sources : https://madame.lefigaro.fr/style/boohoo-embleme-une-mode-fast-fashion-qui-va-trop-vite-100720-181667

Ces allégations ne sont pas nouvelles. En 2018 déjà, le Financial Time faisait état de mauvais traitements humains dans ces usines. Et en 2019, c’est une étude du Parlement britannique qui nommait Boohoo parmi d’autres acteurs du secteur pour n’avoir pas réussi à lutter contre les pratiques «non durables» et «exploitantes» chez ses fournisseurs.

Ce qui n’avait alors pas sali le business des robes et crop top à bas prix. Loin de là. En 2019, le royaume de Boohoo se portait bien. Les consommateurs avaient acheté pour plus d’un milliard d’euros, soit dix fois plus qu’en 2014. En Février 2014, les ventes totales ont atteint 110 millions de £, avec des bénéfices totaux de 11 M £. En avril 2018, Boohoo a annoncé presque doubler le revenu de l’année précédente, jusqu’à 580 millions de £, un bénéfice avant impôts de 43,3 millions £ et une augmentation de 22% de clients. Les prévisions d’une progression du chiffre d’affaires 2019-2020 comprise entre 25 % et 30 % et d’une marge ajustée d’environ 10 % ont été confirmées par le groupe.

Si à l’époque, l’enseigne britannique n’avait pas réagi aux accusations concernant les conditions de travail, elle affirme aujourd’hui tout ignorer de ces pratiques, et se dit horrifiée et annonce qu’une enquête a été lancée. Et comme par enchantement, qu’elle mettra fin à ses relations avec les fournisseurs qui enfreindrait son code de conduite.

Pourquoi le groupe a finalement pris la parole en 2020 ?

Pas pour se la jouer société responsable. Ne l’oublions pas, le but des marques n’est pas de rendre la planète plus belle mais de VENDRE et de dégager des bénéfices. N’est-ce pas là le but premier d’une entreprise après tout ?

En une semaine, les investisseurs ont retiré deux milliards de livres à Boohoo, qui a ainsi vu sa valeur en bourse se réduire à 3 milliards de livres.

Les distributeurs Next, Asos – au passage eux aussi parfois épinglés pour les pratiques de leurs entrepôts – ou Zalando ont annoncé boycotter au moins temporairement les produits de Boohoo.

Ces derniers temps avec l’ère du #MeeToo et du #BlackLivesMatter, on voit bien comment les mouvements activistes se développent et prennent de l’ampleur sur les réseaux sociaux. D’anciens influenceurs connus s’élèvent d’ailleurs aujourd’hui contre Boohoo. Facile de critiquer après avoir pris les billets, non ? Comme si faire la promo de vêtements à bas prix ne mettait pas la puce à l’oreille des influenceurs ?

Mais doit-on leur taper sur les doigts ? N’est-ce finalement pas là une conséquence des politiques mises en place par les pays ? Doit-on s’en prendre à la marque alors qu’elle profite simplement de ce que lui permet son gouvernement ?

La réaction des Internautes (et des autres)

Le petit monde d’Internet et des réseaux sociaux a été outré, choqué, scandalisé. Quelle honte ! Les vilaines marques ! Entre ça et l’histoire de ces 83 grandes marques (coucou Nike, Apple, Adidas, Bosh) qui ont participé au travail forcé des Ouïghours en Chine, le consommateur crie aux armes. Et que ça insulte via son IPhone dans les commentaires son influenceuse préférée, finalement détestée, car elle porte le 9 juillet un jogging Boohoo. Bla bla.

Et quand on demande à ce petit monde s’il est prêt à payer plus cher un produit pour éviter « l’esclavage moderne dans les usines », à 70%* la réponse est bien évidemment non. Alors pourquoi aller violenter celles et ceux qui finalement font comme eux ? Ah parce qu’ils sont influenceurs et  donc pour certains riches, c’est ça le problème dans le fond, la réussite ? Ou parce que les influenceurs donnent le mauvais exemple en ne pas se souciant de la cause humaine ? Dans ce cas, j’ai envie de dire à toutes ces personnes d’arrêter de consommer n’importe quel produit. Car derrière toutes les productions se cachent des gagnants et des perdants.

* résultats d’un sondage fait via ma story Instagram, ce n’est pas représentatif de la population bien évidemment.

Je pense sincèrement que dans les années à venir, les gouvernements s’attacheront à résoudre ces problèmes humains et économiques. Je ne compte pas sur les marques. Elles sont clairement là à chercher à augmenter leurs marges et donc leur chiffre d’affaires. Tant que les lois et les politiques seront cléments à leur sujet, elles continueront.

Mais peut-on alors le leur reprocher si nous-même ne sommes pas prêts à sortir les euros pour des prix plus justes ? Je ne jette la pierre à personne, moi-même je ne m’imagine pas payer un t-shirt 50 euros au lieu de 12 ! Sauf si demain mon salaire augmente considérablement.

Lorsque j’entends que certaines marques se donnent les moyens pour une production plus propre et plus fiable, je rigole doucement, pas trop fort pour ne pas déranger les naïfs. Oui d’accord cela part d’un bon sentiment, si les usines et les ateliers sont certifiés et labellisés, mais que derrière les ouvriers sont payés 2 euros l’heure, à quoi bon ? Les inégalités continuent de se creuser.

Mais vous vous rendez compte qu’en France un chômeur (voulu ou non, là n’est pas la question) touchera plus qu’une personne en Angleterre qui se tue à la tâche dans une usine ? Aberrant.

Et toutes ces marques qui se la jouent Mère Theresa dans leur communication avec leur super coton bio juste pour vendre leur produit 3 fois le prix sur leur eshop (alors qu’elles n’ont pas de frais liés à des boutiques physiques) et que c’est produit en Afrique ou en Asie ? Sérieusement n’est-ce pas là encore une aberration ? Et pourtant on dit que c’est génial et que c’est fantastique, mieux, que ça sauve la planète alors que ça ne crée pratiquement pas d’emploi en France ! Pourquoi ne nous soucions pas cela d’ailleurs ? On se réjouit qu’untel produise une chemise en coton bio hors France ?

Alors oui, je suis au courant, cela permet de créer des emplois dans des pays « pauvres » et que ça contribue à leur développement.

Un peu comme dans l’industrie agro-alimentaire finalement ! Le bio n’a pas pour but d’économiser les ressources de la planète ou de préserver notre santé, non c’est purement et simplement marketing. C’est pour mieux faire vendre, en nous faisant moins culpabiliser.

Toutes ces personnes qui vont perdre leur travail à cause du coronavirus ne pourraient-elles alors pas être employées dans des usines textiles, par exemple, en France ? Et si des marques rouvraient des usines pour les vêtements en France ? Impossible, nous ne voudrons pas payer des biens plus chers. Peut-être que dans 20 ans tout évoluera dans le bon sens, qui sait.

Ce scandale est un excellent cas d’école au sujet de la fast fashion. Ce qui se cache derrière les petits prix et le fait d’acheter des vêtements à outrance pour les porter une fois et les jeter : nous ne faisons pas preuve d’éthique. Et pour finir sur une touche drôle, nous avons là encore la preuve que les réseaux sociaux peuvent bâtir une marque très vite à l’aide de l’influence marketing, mais peuvent finalement la détruire aussi rapidement.